Revivez un moment fort de notre TEDx 2018 : le poème d’Elena Lasida
Bravo à nos 9 speakers pour cette belle édition 2018 ! Nous voilà inspirés pour remettre du local et du lien au cœur de nos politiques et de nos communautés. En attendant les vidéos de chaque talk, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir le texte du poème d’Elena Lasida, « Le local, c’est chez soi ».
A lire, à relire et à partager!
Local c’est « chez soi »
Mais c’est où « chez soi » ?
« Chez soi » c’est sa maison, son quartier, sa ville.
Mais « chez soi » c’est aussi cette montagne, cette mer, cette plaine
Où l’on se sent le seul habitant sur terre
C’est où « chez soi » ?
« Chez soi » c’est avant tout un espace et un temps
Un espace où je me sens moi-même
un espace où j’enlève mes masques et mes étiquettes
un espace où je peux me mettre à nu.
Un espace, et un temps
Le temps de l’ordinaire
Le temps qui rythme mon quotidien
Mais aussi le temps de l’extra-ordinaire
Le temps de l’unique et de l’exceptionnel.
« Chez soi » c’est un espace et un temps.
Et « chez soi » c’est aussi des racines et des ailes
Des racines, mes racines
Mon histoire, mon passé, mes origines
Mes blessures, celles qui ont cicatrisé
Et celles qui restent toujours à fleur de peau
Et mes joies,
Ces moments toujours éphémères
Mais qui me marquent pour toujours.
Mes racines, et mes ailes
Mon horizon, mon avenir, ma boussole
Ce qui me tire vers l’avant
Mes utopies, mes rêves, mes illusions
C’est l’ailleurs qui me permet ici, d’à aller toujours plus loin.
« Chez soi » c’est des racines et des ailes
Et « chez soi » c’est aussi moi et les autres.
Moi, ma solitude,
non pas celle que je subis, mais celle que je choisis
Mon désert,
non pas celui où l’on me chasse, mais celui où je m’en fuis.
Et les autres
Ceux qui m’ont donné la vie
Et surtout, ceux qui m’ont donné envie de vivre
Mais aussi, ceux qui m’ont donné la mort
Ceux qui m’ont profondément blessée
Car c’est grâce à eux qu’on apprend à renaître.
Le local c’est « chez soi »
Et « chez soi » c’est
Un espace et un temps
Des racines et des ailes
Moi et les autres
Car le local, c’est-à-dire le « chez soi »
Se définit moins par ce qui lui est propre,
Que par sa relation avec ce qui lui est étranger.
Le local, c’est-à-dire le « chez soi »
C’est moins les murs de ma maison
que la manière dont ma maison me permet d’habiter le monde
c’est une relation plus qu’un lieu
c’est une tension plus qu’un état
c’est un mouvement plus qu’une appartenance.
Le local n’est pas ce qui reste mais ce qui bouge
Le local n’est pas ce qui se reproduit à l’identique
Mais ce qui se renouvelle en permanence
Le local n’est pas ce qui est figé une fois pour toutes
Mais ce qui me permet d’être toujours en mouvement
Le local c’est le terreau qui me rend créateur
C’est le humus qui me permet de me développer
C’est le composte qui me fait naître et renaître en permanence.
Or le terreau, le humus, le composte
Sont composés d’autres êtres vivants,
Des plantes, des animaux, des bactéries
Qui se décomposent et se recomposent
Qui se désagrègent et se rassemblent
Qui meurent et qui renaissent
Et qui produisent ainsi de la vie et de l’énergie vitale.
Le local ce n’est pas la terre qui me fige
Mais la terre qui me rend vivant
Et pour rendre vivant
Comme le terreau, le humus, le composte
Il faut de la biodiversité
Il faut du même et du différent
Il faut d’ici et d’ailleurs
C’est pourquoi un territoire qui n’a que des « autochtones »
Risque de mourir de rigidité
C’est pourquoi une institution qui n’accepte pas la différence
Risque de s’engourdir dans l’uniformité
C’est pourquoi une communauté qui se replie sur elle-même
Risque de s’étouffer.
Jean-Jacques l’avait compris, mieux que nous tous, ou en tout cas, mieux que moi
Jean-Jacques est une de ces personnes qu’on appelle « handicapé mental »
Il vit dans une de ces communautés qu’on appelle des communautés de l’Arche
Ce sont des communautés où cohabitent des personnes avec handicap mental
Et des personnes dites « normales ».
L’Arche m’avait demandé d’aller rencontrer des personnes de leurs communautés
pour leur parler du développement durable
Vous savez, ce développement qui permet de faire durer la vie sur terre.
Je suis allée et j’ai commencé par leur demander
ce qui signifiait pour eux le développement durable.
Et c’est Jean-Jacques qui a répondu le premier
Et il m’a dit :
« avant dans ma communauté on avait un seul poste de TV
maintenant on a acheté une TV pour chaque chambre.
Développement pas durable ! Développement pas durable ! »
J’ai essayé de comprendre ce que Jean Jacques voulait me dire
Et je lui ai donc demandé :
« tu veux dire que plusieurs postes de TV
consomment plus d’énergie qu’un seul poste ? »
Et Jean-Jacques me répond :
« Non, non, non !!!
Avant, après dîner, on allait tous ensemble regarder la TV
Maintenant, après dîner, chacun va dans sa chambre.
Communauté pas durable ! Communauté pas durable ! »
Jean-Jacques avait tout compris
Il avait compris que ce qu’il y a à faire durer sur terre
Ce n’est pas tellement la matière
Mais plutôt l’énergie vitale
Et que l’énergie vitale c’est de l’énergie physique
Mais c’est surtout de l’énergie relationnelle.
Jean-Jacques avait compris que sa maison, son « chez soi »,
Avait besoin d’objets pour vivre bien
Mais que la vocation ultime des objets
N’est pas celle de satisfaire des besoins
Mais plutôt celle de relier les personnes.
Jean-Jacques avait compris qu’un local qui devient « chez soi »
C’est un lieu qui protège et qui expose
C’est n lieu qui place et qui déplace
C’est un lieu qui rassure et qui dérange.
Jean-Jacques avait compris que le « chez soi » qui rend vivant
Est celui où l’individu se construit, non pas « contre » les autres
Mais « avec » les autres
Dans une tension permanente et féconde
Qui transforme sa maison en « maison commune »,
Son « chez soi » en « chez nous ».
Voilà comment j’interprète ce que je crois que Jean-Jacques voulait me transmettre
Et que je partage aujourd’hui avec vous :
Que le local n’est pas un patrimoine à sauvegarder
Mais une terre à habiter et féconder ensemble.